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Rapport de l'ISP sur la 73ème Assemblée mondiale de la santé

May 29, 2020

La 73ème Assemblée mondiale de la Santé (AMS) s'est tenue virtuellement, les 18 et 19 mai 2020, en raison des mesures mises en place au niveau mondial pour freiner la pandémie de COVID19. Les chefs d'État et des acteurs non étatiques, y compris l'ISP, se sont réunis pour convenir d'une résolution de grande portée visant à intensifier les efforts de lutte contre la COVID-19.

Quatorze chefs d'État se sont adressés à l'Assemblée de la Santé en ligne, montrant ainsi la gravité des crises mondiales de santé publique et socio-économiques que l'AMS "COVID-19" a reflétée. Avec d'autres chefs de délégation, ils ont évoqué l'urgence qui fait rage et ont passé un temps considérable à soulever des questions plus politiques. L'adoption d'une résolution visant à intensifier les efforts de contrôle de la COVID-19 a été l'un des points forts de l'Assemblée de la Santé.

Déclarations et politique

Les débats ont porté sur l'opportunité ou non de faire reconnaître Taiwan comme observateur à l'Assemblée de la Santé. La Russie et l'Ukraine ont également échangé des mots sur la façon dont l'annexion militaire de la région de Crimée aurait pu affecter la réponse face à la COVID-19 dans la région. L'impact des sanctions américaines contre Cuba, l'Iran et le Venezuela sur la lutte contre la pandémie dans ces pays a également été mis en avant.

Dans ce qui a probablement été le discours le plus énigmatique de l'Assemblée de la Santé, le Premier ministre de la Barbade, Mia Mottley, a souligné que "les nations riches et pauvres sont en quête d'inspiration" car la COVID-19 "jette une lumière plus vive sur les inégalités dans notre société". Et s'exprimant en tant que présidente de la Conférence des chefs de gouvernement et des États de la CARICOM, elle a exprimé la reconnaissance sans réserve des pays et des peuples des Caraïbes à Cuba "pour son aide indéfectible durant cette pandémie".

On peut dire que la délégation des États-Unis était en tête de liste. Le président de ce pays, qui a annoncé une coupure condamnable du financement de l'OMS, a refusé une invitation à s'adresser à l'Assemblée de la Santé, déclarant qu'il s'agissait d'une "marionnette de la Chine". "Ils sont centrés sur la Chine, pour le dire plus gentiment". La déclaration des États-Unis a donc été prononcée par le secrétaire à la santé et aux services sociaux, M. Alex Azar, qui était un lobbyiste clé de la puissante industrie pharmaceutique.

Selon lui, "l'une des principales raisons pour lesquelles cette épidémie a échappé à tout contrôle" est le prétendu "échec" de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) "à obtenir les informations dont le monde a besoin". Il a ensuite ajouté : "cet échec a coûté de nombreuses vies". Mais, sans surprise, il n'avait pas un seul mot à dire sur le triste bilan de la maladresse présidentielle américaine suite au rejet par M. Donald Trump du SRAS-CoV-2 comme "virus chinois" qui ne pouvait avoir plus d'impact que la grippe ordinaire.

Plusieurs autres pays comme l'Allemagne, l'Afrique du Sud et la Suède ont défendu l'OMS. La chancelière allemande, Angela Merkel, a souligné la nécessité d'une coordination internationale pour lutter contre la pandémie, et le rôle de premier plan de l'OMS à cet égard. Elle a également appelé à améliorer le financement de l'OMS afin qu'elle puisse s'acquitter de ce rôle avec vigueur.

La Suède a déclaré "soutenir et apprécier fortement le rôle crucial et le leadership irremplaçable de l'OMS dans cette pandémie". Elle a ajouté que "maintenant, peut-être plus que jamais, il est temps de renforcer notre coopération internationale et de faire preuve de solidarité mondiale". La délégation sud-africaine a déclaré : "nous devons profiter de l'occasion pour apprécier les conseils des expert-e-s techniques de l'OMS".

Dans son discours, le président chinois Xi Jinping a souligné que "la solidarité et la coopération sont notre arme la plus puissante pour vaincre le virus". Il a ajouté que "la Chine fournira 2 milliards de dollars américains sur deux ans pour aider à lutte contre la COVID-19, et les pays économiquement touchés, en particulier les pays en développement". Il a promis que son pays ferait de tout vaccin qu'il développerait contre la COVID-19 un bien public mondial, ce qui signifie que la Chine et les entreprises chinoises ne chercheront pas à en tirer un quelconque profit.

La délégation du Qatar a fait référence à la déclaration de Doha, en soulignant que la réponse mondiale doit "inclure l'utilisation de licences obligatoires pour assurer un accès équitable aux produits médicaux. La propriété intellectuelle ne doit pas être un obstacle à la santé pour tous et toutes".

Une résolution phare?

La résolution "Réponse à la COVID-19" visant à rassembler le monde pour lutter contre la pandémie COVID-19 a clairement été la résolution phare de la #WHA73. Elle a été parrainée par 130 pays sur les 194 États membres de l'OMS et appelle à:

"l'accès universel, opportun et équitable et la distribution juste de tous les produits et technologies sanitaires essentiels de qualité, sûrs, efficaces et abordables, y compris leurs composants et précurseurs, nécessaires à la réponse à la pandémie de COVID-19 en tant que priorité mondiale".

Mais, comme le Mouvement pour la santé du peuple l'a fait remarquer à juste titre :

La résolution contient quelques formulations encourageantes sur les flexibilités ADPIC, les soins palliatifs et d'autres questions. Toutefois, elle n'aborde pas certaines questions clés qui sont devenues centrales dans la réponse à la COVID-19. La violence fondée sur le sexe, les effets du confinement sur la faim et la crise pour les migrant-e-s en sont quelques exemples.

Elle pourrait donc être considérée comme une victoire, y compris pour l'ISP qui a appelé à une approche "le peuple au-dessus du profit" pour vaincre le nouveau coronavirus et déterminer le monde post-COVID. Mais il y a des lacunes importantes que nous devons maintenant combler. Les acquis politiques obtenus grâce à l'adoption de cette résolution ne peuvent être consolidés sans la mise en place de mesures globales visant à établir des services publics bien financés, universels et gérés démocratiquement.

Le manque de logements décents, d'eau et d'assainissement, d'emplois et de revenus décents, d'éducation de qualité et de développement de la petite enfance, d'alimentation et de nutrition et de protection sociale, compromet l'accès des personnes à la santé et constitue donc un obstacle à une réponse globale efficace face à la COVID-19 . Il faut s'attaquer à tous ces problèmes, et ce avec un sens aigu de l'urgence.

Il manque également un détail important dans la résolution sur la protection des travailleurs/euses de la santé en première ligne. L'ISP a souligné que la pénurie mondiale d'équipements de protection individuelle est une urgence dans le cadre de l'urgence mondiale de santé publique. Mais lorsque les recommandations de l'OMS en matière de protection respiratoire des travailleurs/euses de la santé qui s'occupent de patient-e-s suspectés ou confirmés d'avoir été exposés à la COVID-19 (sauf dans le cadre de procédures générant des aérosols) se limitent aux masques médicaux, face aux preuves de plus en plus nombreuses que cela pourrait ne pas être adéquat, l'engagement de "fournir aux professionnels de la santé, aux travailleurs/euses de la santé et aux autres travailleurs/euses de première ligne concernés exposés à la COVID-19, un accès aux équipements de protection individuelle et aux autres produits nécessaires", ne suffit pas.

La prise en compte insuffisante des EPI nécessaires (c'est-à-dire les respirateurs - masques N95/FFP3/FFP2) pour assurer la protection respiratoire des travailleurs/euses de la santé et mettre fin aux taux d'infection et de décès inacceptables parmi les travailleurs/euses de la santé repose davantage sur l'économie de la disponibilité que sur la preuve des besoins des travailleurs/euses de la santé.

Le principal sujet de discorde dans le processus de rédaction de la résolution était la question de l'accès au traitement et à un vaccin contre le virus. Le projet final adopté par l'Assemblée de la Santé reflète en partie les compromis issus des "duels" en coulisses et les compromis qui ont eu lieu au cours de sa rédaction. Ceux-ci étaient centrés sur "un langage hautement technique, mais politiquement chargé sur les droits des pays à passer outre aux brevets pour les remèdes vitaux pour la santé". Les États-Unis, par exemple, étaient fermement opposés à la clause sur "l'accès universel, opportun et équitable" aux traitements contre la COVID-19. Ils souhaitaient une "approche soi-disant équilibrée". Ils se sont finalement retirés des négociations sur le projet et n'ont pas soutenu la résolution.

À maintes reprises, nous avons vu à quel point une telle "approche équilibrée" profite aux industries pharmaceutiques, qui sabotent clairement ou subtilement la primauté des besoins des gens au profit de la maximisation de leurs profits. L'image la plus nette de cette dynamique, par rapport à la réponse à la COVID-19, peut être vue sur le sondage de la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI).

Née des enseignements tirés de l'épidémie d'Ebola de 2014 en Afrique de l'Ouest, la CEPI a été conçue en 2015 comme un "partenariat public-privé" et lancée deux ans plus tard au Forum économique mondial de Davos. Elle a réuni des pays comme les États-Unis, le Japon, la Norvège, l'Allemagne et, par la suite, l'UE, le Royaume-Uni et l'Australie, des géants pharmaceutiques comme Johnson & Johnson, Pfizer et Takeda, des fondations philanthropiques comme la Fondation Bill et Melinda Gates et le Wellcome Trust, et des organisations de la société civile comme Médecins sans frontières.

Les grandes entreprises pharmaceutiques du consortium CEPI ont fait en sorte que la politique d'accès équitable de la coalition soit inversée, afin que tous les contrats de fabrication de vaccins soient d'abord approuvés par un comité d'examen public. Et cela s'est fait de manière clairement opaque en 2018. Médecins sans Frontières a tiré la sonnette d'alarme, mais les entreprises ont quand même fait ce qu'elles voulaient, tandis que la CEPI a insisté, certains diront avec ironie, sur le fait que cela n'enlève rien à son objectif déclaré de garantir un accès équitable.

Ainsi, si nous ne pouvons que nous féliciter de la modeste victoire que représente la résolution "Réponse à la COVID-19", les pays (en particulier dans le Sud), les syndicats, les communautés et le mouvement de la société civile doivent être pleinement conscients des obstacles qui restent à contourner et être prêts à se battre pour la santé des populations au détriment des richesses des entreprises alors que le monde se dirige vers un vaccin pour stopper la pandémie COVID-19.

Conclusion

Le monde patauge dans une tempête sur des eaux inexplorées. La 73ème Assemblée mondiale de la Santé a marqué une étape importante dans la recherche de la meilleure façon de traverser cette tempête. Elle constitue un point de départ pour la collaboration internationale en vue de faire face à l'urgence de santé publique dans ce qui est devenu une crise générale et systémique. Mais le monde peut faire beaucoup plus.

Alors que le projet de résolution "Réponse à la COVID-19" était en cours de négociation, l'appel en faveur d'un "vaccin du peuple" a également été lancé. Cet appel à "s'unir derrière un vaccin populaire" a été lancé par plus de 150 dignitaires, dont d'anciens chefs d'État ou en exercice, des économistes de renom et des décideurs politiques mondiaux, la nécessité d'un tel vaccin étant plus clairement énoncée en tant que :

garantie mondiale qui assure que, lorsqu'un vaccin sûr et efficace est mis au point, il est produit rapidement à l'échelle et mis gratuitement à la disposition de tous, dans tous les pays. Il en va de même pour tous les traitements, diagnostics et autres technologies contre la COVID-19.

Cela nous amène au cœur du problème : la nécessité d'une nouvelle économie fondamentalement radicale et d'une approche de la gouvernance mondiale qui place sans ambiguïté le peuple au-dessus du profit. Nous ne pouvons pas résoudre le problème historique dans lequel nous sommes plongés avec de nouvelles versions améliorées de la logique qui l'a fait naître. L'exemple de la CEPI donné plus tôt (qui est d'ailleurs un acteur clé dans la course actuelle pour un vaccin COVID-19) montre que "l'accès universel, opportun et équitable" est nécessaire mais pas suffisant, en particulier pour de nombreux pays à faible et moyen revenu.

Les syndicats, les communautés et le mouvement de la société civile doivent établir les liens nécessaires - défendre les concessions que nous obtenons, mais se battre pour bien plus encore. Nous devons faire comprendre une fois pour toutes qui sont les profiteurs et comment les règles du jeu doivent non seulement être modifiées mais aussi changées, si nous voulons vraiment travailler pour un monde meilleur et plus juste pour tous.




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